Peut-on encore conclure des conventions annuelles de forfait en jours ?
La question peut légitimement se poser après les récentes décisions rendues par la Cour de Cassation. Rappelons que ce dispositif, qui permet une comptabilisation du temps de travail en jours, est né de loi du 19 janvier 2000 dite Loi AUBRY II et a été modifié à plusieurs reprises, en dernier lieu, par loi du 20 août 2008.
Il concerne :
- les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
- les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
Il doit être prévu par une convention ou un accord collectif et faire l'objet d'un écrit dûment signé par le salarié.
Le succès de ce dispositif qui permet d'éluder la plupart des dispositions relatives à la durée du travail à l'exception de celles applicables aux repos, est à la hauteur de son contentieux.
Si la Cour de Cassation a refusé de considérer le forfait jours contraire aux normes sociales européennes, elle ne cesse de l'encadrer et de le fragiliser au regard du principe constitutionnel "du droit à la santé et au repos des travailleurs".
Depuis 2011, par un flot d'arrêts, la Cour de Cassation se livre à un examen approfondi des accords collectifs instaurant ce dispositif et en renforce les conditions de validité.
Après l'accord cadre du 8 février 1999 de l'industrie chimique[1], c'est au tour de l'accord ARTT du 14 décembre 2001 du commerce de gros d'être invalidé par la Cour de Cassation[2]pour insuffisance des garanties destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié.
Pourtant cet accord comporte bien l'ensemble des mentions prescrites par le Code du travail dans la mesure où il prévoit un contrôle de l'employeur sur le nombre de jours travaillés, un entretien annuel individuel avec le supérieur hiérarchique sur la charge de travail et l'amplitude des journées d'activité et rappelle le bénéfice du repos quotidien et hebdomadaire légal.
Cela n'a pas été jugé suffisant par la Haute juridiction, alors même que cet accord de branche était complété d'un accord d'entreprise qui instaurait un examen trimestriel par la direction des informations communiquées par la hiérarchie sur l'amplitude et la charge de travail. Le contenu de ces accords n'est pas "de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié."
L'accord collectif instaurant la convention de forfait jours doit contenir des dispositions qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que les temps de repos journaliers et hebdomadaires. Il doit garantir une amplitude et une charge de travail raisonnables, ainsi qu'une bonne répartition du travail dans le temps et prévoir un suivi régulier et précis de l'activité du salarié en forfait jours, ce suivi ne pouvant résulter d'un simple entretien annuel avec le supérieur hiérarchique.
A défaut, la convention individuelle de forfait jours est privée d'effet et le salarié peut prétendre au paiement de ses heures supplémentaires, de l'indemnité pour repos compensateurs non pris et éventuellement prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Il peut également obtenir la condamnation de son employeur pour travail dissimulé lorsque le forfait jours lui a été appliqué sans son accord écrit[3].
Au regard de la position de la Chambre sociale et des conséquences financières lourdes d'une irrégularité de l'accord collectif autorisant les conventions de forfait jours, les employeurs doivent redoubler de vigilance. En effet, en cas de litige, la régularité de l'accord collectif est vérifiée d'office par les juges.
Il devient urgent de :
Vérifier que l'accord collectif de branche et/ou d'entreprise contient des garanties suffisantes en termes de respect des durées maximales de travail, de repos hebdomadaire et quotidien, d'amplitude des journées de travail et de répartition de la charge de travail des salariés.
Négocier un accord d'entreprise pour remédier aux insuffisances de l'accord de branche, dont les lacunes ne peuvent être comblées par la convention individuelle de forfait jours.
Selon la Cour de Cassation, un tel accord d'entreprise est nécessaire pour les branches des bureaux d'études techniques (SYNTEC)[4] et de l'habillement[5].
Respecter scrupuleusement les dispositions conventionnelles de mise en place du forfait jours et sécuriser le dispositif en instaurant une obligation de suivi régulier et de contrôle de l'organisation du temps de travail et de la charge de travail du salarié allant au-delà de la simple formalité de l'entretien annuel.
Veiller à ne pas étendre abusivement ce régime à des salariés non autonomes.
Le seul accord de branche validé à ce jour est celui de la métallurgie dont les stipulations ont été jugées conformes aux exigences constitutionnelles de droit à la santé et au repos des travailleurs, ainsi qu'aux principes généraux communautaires de protection de leur sécurité et de leur santé[6].
Les entreprises peuvent donc s'en inspirer pour négocier leur accord collectif autorisant le forfait jours.
[1] Cass. soc. 31 janvier 2012 n° 10-19.807
[2] Cass. soc. 26 septembre 2012 n° 11-14.540
[3] Cass. soc. 28 février 2012 n° 10-27.839
[4] Cass. soc. 21 mars 2012 n° 10-0.237 et n° 10-20.302
[5] Cass. soc 19 septembre 2012 n° 11-19.016
[6] cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107