Audition Sénat - COM - 5 décembre 2013

La commission auditionne Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, sur le contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et France Médias Monde.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous accueillons Marie-Christine Saragosse, présidente directrice générale de France Médias Monde, qui nous présente le contrat d'objectifs et de moyens (COM), que nous attendons depuis quatre ans. Chacun connaît les difficultés que la société a traversées, après lesquelles vous avez su négocier ce contrat, avec l'État, remotiver le personnel et remobiliser cette entreprise, qui est l'un des vecteurs de la France et de son influence dans le monde.

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. - Je m'exprime ici pour la première fois depuis l'assassinat de nos deux correspondants au Mali ; je remercie le Sénat d'avoir partagé notre douleur, par le communiqué du président Jean-Pierre Bel, la minute de silence dans l'hémicycle et le communiqué du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest présidé par Jacques Legendre. Le soutien du Sénat fut important pour nous, dans ces moments très difficiles.

M. André Vallini, rapporteur pour avis du contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde. - A mon initiative, notre commission a aussi rendu hommage aux deux journalistes.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je tiens à vous remercier pour ces marques de sympathie très importantes, y compris pour les familles ; elles nous renvoient au coeur de notre mission : défendre une certaine idée de l'information, pluraliste, donnant la parole à chacun. Telles sont nos valeurs. C'est en leur nom que nous avions des envoyés spéciaux dans toutes les régions du Mali pour couvrir les élections, mais il y a des barbares qui ne respectent ni l'information ni les êtres humains.

Ce sont ces mêmes valeurs qui forment le socle du COM, fruit d'un travail collectif ayant commencé en novembre 2012, avec des séminaires se déroulant le samedi, sur la base du volontariat des équipes, où nous avons discuté de nos valeurs, de nos contenus éditoriaux et de nos missions, pour aboutir en mars 2013 à un projet stratégique. Une quinzaine de réunions détaillées avec nos tutelles ont conduit cet été à un arbitrage budgétaire permettant de rédiger ce COM qui en garde l'esprit et l'essentiel des mesures.

Quelles sont les caractéristiques du contexte mondial dans lequel s'inscrit ce COM ? L'explosion de nouveaux médias, d'abord, dont l'usage ne se substitue pas aux autres : avoir une tablette ou un i-phone n'impose pas de renoncer à regarder son téléviseur ou à écouter la radio sur la bande FM, majoritaire pour l'écoute sur téléphone portable. Gardons-nous donc de jeter aux orties les anciens modes de diffusion. Ces nouveaux médias s'accompagnent d'un développement de la mobilité : c'est une grande révolution pour nous, car elle touche l'Afrique, où l'usage des terminaux mobiles est plus important que celui des ordinateurs fixes. Les réseaux sociaux explosent, eux aussi : il n'est plus concevable de penser des médias unilatéraux. Les évolutions des équipements numériques sont très contrastée selon les zones, notamment en termes de coût : il faut les analyser pays par pays, afin de ne pas commettre de contresens.

Le développement de la télévision en haute définition (HD) ensuite. Cela ne nous arrange pas forcément : la HD coûte deux fois et demie plus cher en termes de diffusion satellitaire que la télévision classique, la SD - or nous n'avons pas cet argent ; elle occupe plus de capacité de diffusion. Cela peut provoquer des effets d'éviction chez les opérateurs et, selon les zones, en Europe en particulier, constituer une menace dans les deux ans à venir. L'arrêt de la diffusion analogique et le passage complet à la télévision numérique terrestre (TNT), par ailleurs, offrent des opportunités qu'il ne faut pas rater, notamment en Afrique francophone.

L'extrême violence et l'hétérogénéité d'une concurrence multiforme est due à l'explosion des médias locaux - notamment les radios - et internationaux - on pense au Qatar mais aussi à la Chine, qui s'attaque à l'Europe, à l'Afrique mais aussi à l'Amérique latine, puisqu'elle vient de lancer une chaîne en espagnol. Certains sont des amis mais restent des concurrents : Broadcasting Board of Governors (BBG) qui chapeaute les médias américains tels que Radio Free Asia ou Voice of America avec un budget de 750 millions de dollars et une diffusion en 50 langues, la BBC, qui pour un budget de 400 millions d'euros diffuse en 40 langues, et Deutsche Welle qui avec 270 millions d'euros diffuse en 30 langues. Nous disposons d'un budget de 250 millions d'euros dont 238,7 millions d'euros de dotation publique en 2013 pour faire entendre la voix singulière de notre pays.

Il est fondamental d'affirmer cette identité singulière au niveau du groupe, mais aussi au sein de chaque média. En juillet 2012, la décision a été prise de ne pas fusionner les rédactions. France 24 fait de l'information en continu en français, en anglais et en arabe. Nous devons affirmer ce regard français : nous parlons depuis Paris. Une nouvelle signature a été présentée hier, avec un slogan, « Liberté, égalité, actualité », valeurs universelles que nous partageons avec de nombreux citoyens du Monde.

L'AFP est partenaire de notre campagne d'illustration de cette signature. Nous accentuerons les différences de programmation entre les trois langues. Une chaîne en anglais qui s'appelle France 24 est plus cohérente si nous y parlons davantage de la France. France 24 en arabe cherche à être l'autre chaîne arabophone : la chaîne de la liberté et de la laïcité, enracinée en Méditerranée, contrairement aux autres chaînes qui viennent de l'Est du bassin. J'accompagnerai ainsi le Premier ministre pour signer des accords de coopération le 16 décembre à Alger ; la radio nationale algérienne et Monte Carlo Doualiya ont déjà commencé leur mise en oeuvre et nous coproduisons une émission hebdomadaire recevant des invités à Alger et à Paris avec des thèmes aussi sensibles que le terrorisme aux frontières de l'Algérie ou le rôle des États-Unis dans ce pays : c'est une grande première !

Radio Monte-Carlo Doualiya (MCD), inventée il y a quarante ans par les Français, est la radio généraliste qui défend en langue arabe la laïcité, l'universalisme, l'égalité des hommes et des femmes et la liberté de conscience. Elle diffuse dans seize pays, mais malheureusement, pas en France. Nous affirmons une signature française en arabe et nous nous ouvrons aux femmes et aux jeunes, qui ont fait les révolutions arabes. Le nouveau site internet a vu les visites passer de 200 000 à 400 000 en un mois. Son slogan est : « sur la même longueur d'ondes » - sous entendu de l'autre monde arabe, celui de la liberté et du respect de l'Autre.

Depuis le drame qui nous a frappés, nous mesurons d'autant plus le poids de Radio France Internationale (RFI), avec la vague incroyable de milliers de témoignages d'affection, et pas seulement d'Afrique. Je rentre de Roumanie, où nous avons une filiale depuis 22 ans, qui est la radio qui fait l'information là-bas, avec une audience moyenne respectable de 200 000 auditeurs veille, avec ses quatre émetteurs, RFI donne le « la » de l'information. C'est aussi le cas en Afrique évidemment, mais au Maghreb, alors qu'elle n'y dispose pas de fréquence FM - faute d'autorisation - ce que les journalistes locaux déplorent à chaque conférence de presse que j'y donne, la radio bénéficie d'une réelle notoriété. Sa signature, « les voix du monde », signifie qu'elle n'est pas « la » voix de la France, ou plutôt que celle-ci ne peut être que plurielle. Être fidèle à la France, c'est donner la parole à chacun : grâce à ses douze langues étrangères - bientôt treize, car nous allons ajouter une nouvelle langue d'Afrique de l'Ouest - qui ne sont pas un problème mais bien un atout pour RFI ; grâce aussi aux auditeurs, très présents sur les ondes, et qui ont tous les accents de la francophonie.

Nous construisons une stratégie différenciée selon trois zones. Les zones de consolidation, d'abord - Afrique francophone, Maghreb et Moyen-Orient -où notre présence ne doit pas se laisser déstabiliser : nous ne devons pas rater le passage à la TNT, saisir les opportunités de FM, lancer une nouvelle langue africaine et être très présents sur la mobilité. Les zones de développement, ensuite, où l'accessibilité existe, où nous sommes bien diffusés, mais avec une insuffisante notoriété, et par conséquent une audience à développer : dans les pays du Golfe - où les nouveaux médias sont très répandus - ou en Afrique non francophone - qu'une stratégie panafricaine ne doit pas laisser en tête à tête avec l'Afrique du Sud. Nous avons des atouts : France 24 diffuse en anglais, RFI en anglais et en kiswahili ; nous avons signé avec le Kenya et la Tanzanie une diffusion de France 24 sur la TNT ; nous devons aussi rechercher des partenariats pour des reprises partielles.

Autre zone de développement : l'Europe, où il faudrait des ressources massives pour exister. RFI y garde beaucoup d'émetteurs, mais a dû réduire le nombre de langues. Reste Radio France România avec ses vingt-cinq agents vivant depuis des années dans l'angoisse de voir leur antenne fermer - ce qui est regrettable - alors qu'ils ne coûtent que 600 000 euros par an et s'autofinancent à 15 % et alors que ce pays est courtisé par les chaînes chinoise (CCTV) et russe (Russia Today). J'y suis allée récemment : de nouvelles fréquences seront financées par des recettes publicitaires, et j'y ai signé un « acte de mariage » entre RFI Romania et TV5 Monde qui sous-titre ses programmes en roumain.

La France fait partie de ces zones de développement : RFI est diffusée en Île-de-France seulement et France 24 sur le câble, le satellite et l'ADSL, tout en restant jusqu'ici interdite de TNT. J'ai obtenu de nos tutelles une modification de notre cahier des charges pour que cela change. Nos concitoyens ont besoin de s'ouvrir au monde ; nous avons des programmes dans des langues utilisées par nos concitoyens, mais aussi par des médias qui ne partagent pas forcément nos valeurs. La diffusion temporaire à Marseille de MCD et de RFI gagnerait à être pérennisée ; RFI pourrait être diffusée à Lyon, à Bordeaux ou Toulouse et surtout à Strasbourg, en accord avec la vocation européenne de cette radio, avec ses deux émissions hebdomadaires et son émission quotidienne sur l'Europe. De nombreux parlementaires européens francophones étrangers viennent y parler et ne s'entendent pas sur la bande FM de la ville - est-ce pour cela que certains préfèreraient Bruxelles ? Je sais que la création d'une radio européenne est un projet cher à M. Pierre Bernard-Reymond...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous y reviendrons dans un instant !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Mieux diffuser une radio aux contenus européens importants sans coûts de structure supplémentaires pourrait être intéressant. L'Île-de-France compte 1,3 million de locuteurs de l'arabe, qui parfois n'écoutent que des médias arabophones : si MCD pouvait y être diffusée et rester à Marseille, elle contribuerait à un climat plus apaisé dans notre pays. J'aurais rêvé aussi d'une diffusion nationale en TNT pour France 24, mais sa diffusion régionale en Île-de-France est déjà appréciable.

Les zones de conquête, enfin : Asie-Pacifique et Amérique du Nord. L'Amérique latine et la Caraïbe ne sont pas prioritaires pour France 24, faute de diffusion en espagnol. En revanche, RFI en espagnol et en brésilien est très écoutée, avec plus de 300 partenariats. Elle l'est aussi en Haïti, où nous aimerions créer un studio-école en créole.

S'agissant de nos régies de diffusion et production, nous nous rééquipons totalement en matériel HD sur nos propres fonds ; le présent COM ne prévoit pas de diffusion satellitaire HD, mais un système d'alerte en direction des tutelles, pour réagir au mieux en cas de risque d'éviction. La diffusion de France 24 en espagnol n'est pas écartée, mais reportée : une étude de faisabilité détaillera comment s'installer en cinq ans. Une diffusion 24 heures sur 24 coûterait 18 millions d'euros. Puisqu'il est question de langues, entre autres nouveautés, nous devrons développer l'offre d'apprentissage du français ; le site internet, datant de 12 ans mérite, pour mieux valoriser la qualité de ses programmes, un coup de jeune.

Nous saluons l'effort de l'État dans un contexte budgétaire difficile : plus 1,4% en deux ans (0,7 % en 2014 et 0,7 % en 2015), et un crédit d'impôt compétitivité entreprises, représentant 1 million d'euros. Mais France Médias Monde est la société publique qui a le plus restitué de budget, avec 4,6% de moins aujourd'hui qu'en 2011. De plus, nous avons fait largement un effort nous aussi dans le cadre du COM: à côté des 4,4 millions d'euros apportés par l'État, nous développons l'autofinancement à hauteur de 6,4 millions d'euros, dont 2 millions de publicité et des gains de productivité dans la planification, la gestion des régies et les frais généraux. Or cette année a été dense : nous avons fusionné les instances sociales qui seront constituées sous leur nouvelle forme dans quelques jours. La distribution de France 24 a été élargie à plus de 40 millions de foyers, record depuis sa création franchissant la barre de 250 millions de foyers raccordés. Nous avons changé de nom. Nous avons déménagé dans la sérénité. La fréquentation des sites a augmenté de 30 %. Nous avons refondu l'ensemble des grilles. Le mécontentement du personnel était lié à son inquiétude ; il s'est remobilisé et mérite un vrai coup de chapeau.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Merci pour cet exposé rapide et complet. Première observation : vous nous présentez un COM pour la période 2013-2015, alors que 2013 s'achève, que le budget 2014 est en train d'être voté, que 95 % de vos ressources sont d'origine publique ; il ne reste donc que l'exécution 2014 et le budget 2015 pour aller au bout de vos objectifs. Vous n'y êtes pour rien, l'État est coutumier de ces pratiques, que j'ai pu observer pour Campus France. Il serait néanmoins souhaitable de présenter la nouvelle édition 2016-2018 avant les arbitrages budgétaires de 2015. Nous apprécions également de disposer d'un document qui ne présente pas tant la stratégie de l'entreprise que les objectifs auxquels elle adhère avec l'État et auxquels ce dernier affecte des moyens ; démarche intéressante qui laisse une certaine autonomie à la société pour développer des projets en dehors du COM si elle peut les autofinancer - et si Bercy n'en profite pas pour réduire sa participation...Soyez vigilante !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je le suis !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Ce COM est cohérent et d'une modestie adaptée à vos ressources, qui vous conduisent à faire mieux avec peu.

Estimez-vous les objectifs réalisables avec les ressources disponibles ou devrez-vous dégager des marges de manoeuvre supplémentaires ? Dans le plan stratégique, vous évaluiez les besoins à 18 millions d'euros dont 7,8 millions de l'État : à combien les estimez-vous aujourd'hui ? Les négociations en vue de l'harmonisation sociale conduiront-elles à des charges supplémentaires ? Quelles est la marge de progression des ressources propres et quel montant d'économie comptez-vous réaliser, et sur quels postes ? Des projets sont présents en filigrane dans le COM, mais de manière très hypothétique, alors que pour des coûts réduits, ils pourraient générer des ressources, donner de la notoriété aux marques et apporter un vrai service, y compris avec la diffusion de MCD dans les grandes agglomérations françaises, comme nous le souhaitons dans cette commission. Vous nous dites qu'elle est à Marseille ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - À titre transitoire jusqu'au 31 janvier ; la porte de l'obtention de fréquence nationale étant antérieurement fermée, nous sommes entrés par la fenêtre ouverte par Marseille Provence « capitale européenne de la culture », avec le soutien des élus locaux de tous bords. Nous aimerions le pérenniser.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Où en sont vos projets à ce sujet ? Quelles sont vos chances d'y aboutir ? Pour quelles ressources et quels coûts ? Le renouvellement des équipements de France 24 pour être capable de diffuser en HD, comme vous l'aviez fait à TV5 Monde, est un projet lourd. En quoi est-il stratégique ? Pourquoi l'État n'a-t-il pas accepté de l'inclure dans le COM ? Combien cela vous coûtera-t-il, surtout si vous devez recourir à l'emprunt ? Comment assurerez-vous la bascule ? Est-ce compatible avec les objectifs du COM ? Où en êtes-vous de votre projet de studio-école et d'académie France Médias Monde ? Pourquoi l'État ne vous a-t-il pas suivie ? Subissez-vous des contraintes limitant le développement de la publicité, au même titre que les médias nationaux, et pourraient-elles être évitées ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - C'est moi qui ai insisté pour que ce COM soit court, dans l'espérance d'une réforme de la redevance, qui me permettrait de signer bientôt un nouveau COM avec plus de ressources. Une fois qu'il est signé, ce type de contrats est revu souvent à la baisse, rarement à la hausse. Une mise à plat était nécessaire, et nous l'avons faite, sans baisse de financement, contrairement à ce qui était prévu. J'ajoute qu'un COM glissant s'imposait, face à un marché très volatile. Certains aspects devront être retravaillés. Nous réfléchissons ainsi à un site éducatif. L'annualité budgétaire nous permet, au-delà même du COM, d'en discuter avec le Parlement, ce qui donne l'occasion à ses membres de déplorer que nous n'ayons pas assez de ressources...

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous le disons !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Nos recettes propres ne proviennent pas seulement de la publicité, mais aussi de l'édition musicale, RFI étant un acteur de premier plan en ce domaine, ou de produits dérivés. Ce qui nous gêne en matière de publicité, ce n'est pas tant la rigueur de la loi française, à laquelle nous ne sommes pas totalement soumis à l'international - RFI fait ainsi de la publicité pour la bière, que l'organisation de la collecte. RFI a une régie interne de deux agents, qui récolte 1,5 million d'euros nets par an ; la régie externalisée de France 24, France Télévisions Publicité International, rapporte la même somme avec plus de personnes, alors que la chaîne émet en trois langues et a 41,5 millions de téléspectateurs différents chaque semaine en audience strictement mesurée (sans extrapolation ou estimation). Pour les nouveaux médias, elle nous rapporte 250 000 euros, alors qu'il y a 14 millions de visites par mois sur notre site -. Cela nous inquiète. Le minimum garanti, qui nous protégeait pendant trois ans, s'est arrêté fin 2012, nous exposant à des non réalisation de chiffres d'affaires. La régie nous avait indiqué un chiffre d'affaires 2,9 millions d'euros pour 2013 ; nos économies nous permettront heureusement d'absorber un déficit d'1,4 million d'euros. Beaucoup de chaînes ont quitté cette régie : Canal Plus Horizon, Euronews. Nous restons seuls avec TV5 Monde, mieux rémunérée grâce à son signal France-Belgique-Suisse, qui peut être vendu en package avec France Télévisions. La question de l'internalisation n'est pas simple elle coûterait d'entrée un million d'euros, avec des recettes aléatoires et peu sûres, surtout la première année.

J'assistais cette semaine à la réunion, dite « DG7 » des grands médias mondiaux occidentaux : BBC World ne représente que 10 millions d'euros de recettes publicitaires, à comparer avec près de 400 millions d'euros provenant de la vente de programmes. Or je refuse le publi-reportage sur France 24, qui représente la France. Je refuse de programmer une semaine consacrée à tel ou tel pays, qui chercherait à nous imposer certains reportages. Notre crédibilité tient à notre indépendance. Je fais confiance à nos journalistes. Un média d'information continue, public, assimilé à la France, même s'il n'est pas l'émanation d'un gouvernement, doit s'interdire certaines choses. C'est pour cela que nous avons été raisonnables dans nos prévisions de recettes publicitaires. RFI fait ainsi très attention à ne pas multiplier certaines publicités, par exemple, car ce qu'elle diffuse est parfois considéré parole d'Évangile ! La Haute autorité de Côte d'Ivoire nous ainsi demandé des pauses dans certaines publicités, nous assurant que les gens sont très attentifs à tout ce qui est dit à l'antenne ! Si les annonceurs le savaient, ils viendraient plus nombreux !

Nous avions demandé 18 millions d'euros, dont 2 millions d'euros pour la chaîne espagnole, 3,5 millions d'euros pour le signal diffusé en HD. La diffusion par satellite n'a pas été retenue : Nous ne pourrons donc pas doubler la capacité de diffusion de France 24 dans aucune des langues ; mais les équipements de fabrication de nos signaux en HD, eux, sont bien prévus, et autofinancés à hauteur d'une dizaine de millions d'euros sur nos fonds propres, de même que la formation. Nous avions aussi prévu 2,2 millions d'euros pour le marketing ; c'est une variable d'ajustement, puisque baisser ce budget n'entraîne évidemment aucun licenciement. Voici l'explication de la différence avec le plan stratégique. Une partie peut être récupérée par des partenariats qui permettent aussi de belles réalisations au meilleur coût, comme au Maghreb, où les médias locaux fournissent les locaux et des équipes techniques.

Le financement se fait à travers 4,4 millions d'euros de l'État et 6,4 millions d'autofinancement : 2 millions de recettes publicitaires sur deux ans, 1,4 million d'économies provenant de la fabrication de notre télévision en régie : le passage à la HD permet de réduire les effectifs de notre sous-traitant, qui seront reconvertis, grâce à une clause sociale. Les économies de frais généraux représentent 1,5 million d'euros. Nous « grattons » partout ! Une mauvaise planification des journalistes engendre une faible prise de jours de congés que nous devons provisionner : son amélioration, à laquelle nous allons travailler, réduit ces provisions. La motivation des équipes est phénoménale. France 24, va ainsi changer de grille le 12 décembre et revêt un nouvel habillage, très French Touch, et lance son nouveau site.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - J'espère qu'il sera un peu plus chaud que l'actuel, sans aller jusqu'au clinquant et à la vulgarité d'autres chaînes d'information continue !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Rassurez-vous !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Je tiens à le dire, au lendemain d'une journée délirante sur ces chaînes, dont l'antenne était saturée par...la prostate du Président ! Contrairement à d'autres, France 24 prend de la hauteur, elle fait preuve d'une distanciation salutaire, mais parfois un peu froide.

Mme Marie-Christine Saragosse. - L'habillage sera plus chaleureux ; les studios seront également refaits avec la régie HD l'année prochaine. Les « jeunes » journalistes de France 24 n'ont cessé de s'aguerrir depuis la création de la chaîne, et la maturité de la chaîne va continuer à s'affirmer avec ces nouvelles grilles et permettre à chacun de donner son potentiel.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - J'apprécie leur ton, leur regard sur l'actualité...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Absolument !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Ils ne sont pas vulgaires, ils ne crient pas l'information, comme on le voit, hélas, sur d'autres chaînes.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - La non-diffusion en France est-elle due à des raisons techniques ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Ces médias ont d'abord été conçus pour l'international, ce qui explique un certain cloisonnement, à sens unique : l'international ne devait pas venir au national. Peut-être craint-on des risques de concurrence au sein même du service public : RFI est-elle une concurrence de France info ? MCD ne l'est sûrement pas. Lors d'un débat à l'Assemblée nationale, Jacques Myard se demandait s'il était légitime que le service public français émette en arabe sur le territoire, craignant que cela n'encourage le communautarisme.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Tout dépend de ce qui est dit.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Tout à fait ! Notre cahier des charges contenait pourtant une mission consistant à servir les populations non francophones vivant en France ; RFI utilisait ainsi le réseau B de Radio France pour diffuser en vietnamien ou en mandarin dans le 13e arrondissement de Paris, par exemple, ce dont certains sont nostalgiques. Je n'ai pas été jusque-là. Mais cela pourrait se concevoir. Les élus membres de notre conseil d'administration, sont favorables à la diffusion de MCD en France. La bande de fréquences est saturée ; les privés ont peur que le service public, qui en occupe une partie significative, n'agrandisse son domaine. En Île-de-France, qui compte 12 millions d'habitants - c'est beaucoup - France 24 devrait obtenir une diffusion partielle en TNT, la Ministre a déjà saisi le CSA. Une fenêtre nationale sur une chaîne de France Télévisions reviendrait moins cher que les sept millions d'euros que coûterait bon an mal an un réseau national mais c'est un sujet délicat.

Certaines radios reprennent déjà nos programmes ; malheureusement, il s'agit uniquement de l'information, alors que nous avons des programmes magnifiques, comme les Impertinentes de MCD, où trois femmes journalistes arabophones commentent l'actualité...

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vois beaucoup de femmes dans votre brochure sur MCD.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Notre comité exécutif est également paritaire. Peut-être est-ce encore si rare que cela attire l'attention !

La formation et la coopération sont dans l'ADN de RFI. Elles font partie de notre mission de service public. Ces actions sont des outils pour être présent sur les territoires. À chacun de mes déplacements, mes interlocuteurs expriment des besoins dans le domaine de la formation en particulier. Nous n'avons malheureusement pas de budget pour cela. Soit nous nous condamnons à réserver ces actions aux pays qui en ont les moyens ; soit nous devons nous entendre avec Canal France International (CFI), dont la tutelle et les sources de financement sont distinctes des nôtres. BBC et Deutsche Welle s'appuient sur des académies internes importantes, les Américains n'en ont pas. Lorsque le poste diplomatique nous aide, comme récemment en Tunisie, c'est formidable : nous pouvons payer le déplacement en France des personnes devant y être formées, y compris en arabe et en anglais. Le studio-école permet de faire d'une pierre trois coups : couvrir l'actualité locale, en formant des jeunes, et dans la langue locale - créole en Haïti, wolof à Dakar - dans lesquelles nos moyens ne nous permettent pas d'ouvrir de rédaction. Cela n'a pas été retenu dans le COM ; aussi rechercherons-nous des financements autres (européens par exemple).

Conformément à nos valeurs, nous avons mis sur la table en toute transparence dès janvier 2013 l'enveloppe disponible pour financer l'harmonisation sociale : 3,5 millions d'euros. Les deux radios sortent de la convention « audiovisuel public » ; la télévision a une convention qui n'a rien à voir. Nous sommes les seuls dans le service public à faire les deux métiers à la fois. C'est un vrai challenge dont sont conscients les syndicats. Ce sera une grande première ! L'équité est un objectif difficile qui se heurte aux spécificités des médias. C'est un énorme chantier ; pendant qu'on y travaille, on n'est pas en train de conquérir les Etats-Unis ou l'Asie ; mais il faut le mener pour avancer.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Bravo pour votre maîtrise et la qualité de votre stratégie. C'est en béotien du monde des médias... et en Européen convaincu que je m'exprime. Tous les matins, à Gap, j'écoute RFI, grâce à un accord avec une radio locale qui n'émet pas toute la journée. De tels contrats sont-ils habituels ou exceptionnels ? S'ils tendent à se développer, ils pourraient permettre de couvrir une bonne partie du territoire national, les zones rurales passant d'ailleurs, pour une fois - quel scandale ! - avant les zones urbaines.

Je voudrais par ailleurs vous informer de l'évolution d'une question qui me tient à coeur et dont je vous avais déjà entretenue. Inquiet de la montée du nationalisme, du populisme, du séparatisme, je crois qu'il serait intéressant que le peuple français se sente en plus forte intimité avec les autres peuples européens. En écoutant RFI, je connais bien l'actualité du Burkina Faso, mais guère celle des pays européens. Ma proposition consiste à créer une radio France Europe (RFE) qui ne chercherait pas à faire connaître la France en Europe, mais la vie quotidienne des autres pays européens en France. L'Union européenne pourrait aider financièrement une telle initiative, d'autres pays européens pourraient l'imiter. Ma proposition de résolution à ce sujet, malgré les réticences de la ministre - pour des raisons financières et techniques que je peux comprendre - a été adoptée à 193 voix contre 150, grâce aux votes de certains écologistes, du RDSE, des centristes et de l'UMP. Certains socialistes l'avaient signée, mais ne l'ont pas votée pour des raisons de cohérence. D'autres m'ont fait part après coup de leur soutien. Cette idée rassemble donc une large majorité, composite, au Sénat. Le président de notre commission semble très favorable et a préconisé que les deux rapporteurs André Vallini et Joëlle Garriaud-Maylam donnent un avis de faisabilité.

Hier, le sénateur écologiste André Gattolin a présenté en commission des affaires européennes, dont je fais évidemment partie, une proposition de résolution sur la citoyenneté européenne, dans laquelle il a intégré RFE, qui a été adoptée à l'unanimité.

Voulons-nous continuer la politique des petits pas, quitte à risquer les petits pas en arrière, ou considérons-nous que l'avenir de la France se joue au sein de la construction par l'Europe d'une puissance dans la mondialisation de demain, grâce à un vrai pouvoir politique ? En ce cas, l'adhésion des citoyens passe par une meilleure information mutuelle des peuples.

Mme Marie-Christine Saragosse. - RFI est beaucoup reprise, parfois sans que nous le sachions. Il ne s'agit pas toujours des émissions que nous souhaiterions davantage diffuser, lesquelles sont en prime time, créneau où les autres radios ont leurs propres émissions. Les auditeurs ne savent pas toujours ce qu'ils écoutent ; ce n'est donc pas forcément bon pour la notoriété. Cela ne génère pas de recette de publicité et ne permet pas de mesure d'audience.

Votre radio Europe existerait déjà, si RFI était diffusée en France avec toutes ses émissions sur l'Europe : Bonjour l'Europe, Allô Bruxelles, Ici l'Europe, Accents d'Europe, Carrefour de l'Europe, et j'en passe. En outre, elle pourrait reprendre d'autres émissions sur l'Europe, francophones, de nos amis de la BBC, de Deutsche Welle ou d'autres partenaires pour constituer une web radio sur son site par exemple.

Trois obstacles, pas insurmontables, s'opposent à votre projet de RFE tel que je l'ai compris : dès que l'on prononce le mot Europe en France, l'audience chute, sauf pour les jeunes, qui sont Européens presque sans le savoir ; une radio indépendante a des coûts de structure importants, difficile à financer, à moins que l'Union européenne décide soudainement de ne plus demander cinq mètres de haut de documents pour donner cinquante mille euros de subvention ; l'attribution des fréquences en France fait l'objet d'une sorte de guerre, dans laquelle je pourrais me sentir concurrente de votre projet.

Ces écueils seraient évités si les émissions sur l'Europe de RFI, auxquelles pourraient être ajoutés les programmes en français de la BBC, de Deutsche Welle et de la radio néerlandaise, étaient rassemblées au sein d'une web radio, ce qui ne coûte pas très cher, à la différence d'un réseau FM national. Il faudrait créer une application dédiée pour exposer également cette offre qui donnerait du prix à l'Europe. Une telle application et une présence sur le site de RFI permettrait déjà d'avancer, car elle serait riche en contenus et personne n'écoute la radio pendant 24 heures d'affilée. C'est une piste à étudier.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Lorsque la nouvelle commission européenne sera installée, un tel projet devrait pouvoir obtenir des financements européens.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - En effet. Merci.

 

Rédigé par Sénat

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